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plus juste, pourtant, quand il fallait réellement agir que quand il s’agissait seulement de parler ; car il aimait plus le paradoxe qu’il n’était sujet à l’exercer. Je n’ai jamais vu de plus grand causeur, ni qui se consolât si aisément des événements fâcheux, en exposant les causes qui les avaient produits et les conséquences qui devaient s’ensuivre ; quand il avait fini de tracer le plus sombre tableau de l’état des affaires, il terminait d’un air souriant et placide, en disant : de telle sorte qu’il n’y a à peu près aucun moyen de nous sauver et que nous devons nous attendre à une subversion totale de la société. Au demeurant, c’était un ministre instruit, expérimenté, d’une honnêteté et d’un courage à toute épreuve et aussi incapable de plier que de trahir. Ses idées, ses sentiments, son ancienne liaison avec Dufaure et surtout son animosité vivace contre M. Thiers nous répondaient de lui.

Rulhière aurait été du parti monarchique et ultraconservateur s’il eût appartenu à un parti, et surtout si Changarnier n’avait pas été au monde ; mais, c’était un soldat, qui ne songeait qu’à rester ministre de la guerre. Nous aperçûmes du premier coup d’œil que la jalousie extrême que lui causait le commandant en chef de l’armée de Paris ; la liaison de celui-ci avec les chefs de la majorité et son influence sur le prési-