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mes principaux amis, dirigeant les principaux ministères, de manière à rester toujours les maîtres du cabinet ;

La troisième, enfin, de me conduire chaque jour, étant ministre, comme si je devais cesser de l’être le lendemain, c’est-à-dire sans jamais subordonner au besoin de me maintenir celui de rester moi-même.

Les cinq ou six jours qui suivirent se consumèrent tout entiers en efforts inutiles pour composer un ministère ; les tentatives furent si nombreuses, si croisées, si remplies de petits incidents, grands événements du jour oubliés le lendemain, que j’ai peine à en retrouver la trace dans ma mémoire, malgré que j’aie été moi-même quelquefois l’un de ces incidents. Le problème était, en effet, difficile à résoudre dans les conditions qu’on lui donnait. Le président voulait bien modifier en apparence son ministère, mais il entendait conserver les hommes qu’il considérait comme ses principaux amis. Les chefs des partis monarchiques refusaient de se charger eux-mêmes du gouvernement, mais ils ne voulaient pas non plus qu’on le remît tout entier à des hommes sur lesquels ils n’auraient eu aucune prise. Si l’on consentait à nous admettre, c’était en très petit nombre et dans des postes secondaires. On nous considérait comme un remède, nécessaire mais désagréable à prendre, qu’on désirait ne s’administrer qu’à très petites doses.