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une semblable révolution judiciaire eût pu s’improviser. Enfin, Dufaure proposa d’interdire le remplacement et d’obliger tout le monde à satisfaire en personne au service militaire, mesure qui eût détruit toute éducation libérale si on n’avait beaucoup réduit le temps de ce service, ou désorganisé l’armée si on avait fait cette réduction.

C’est ainsi que toujours pressés par le temps et mal préparés à traiter de si grands sujets, nous approchions du terme de notre travail. On disait : Adoptons, en attendant, les articles qu’on nous propose ; nous reviendrons ensuite sur nos pas ; la vue de cette ébauche nous permettra d’arrêter plus aisément les traits définitifs et d’en ajuster les parties entre elles. Mais on ne revint pas et l’ébauche resta le tableau.

Nous nommâmes Marrast rapporteur. La manière dont il s’acquitta de cette grande mission mit bien à découvert le mélange de paresse, d’étourderie et d’impudence qui faisait le fond de son caractère. Il fut d’abord plusieurs jours sans rien faire, bien que l’Assemblée demandât sans cesse à connaître le résultat de nos délibérations, et que toute la France souhaitât avec ardeur de l’apprendre. Puis il expédia son travail en une nuit, celle qui précéda le jour où il devait en faire part à l’Assemblée. Dans la matinée, il le communiqua à un ou deux collègues