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des assemblées, mais les conditions du problème parmi nous étaient bien autres ; nous sortions de la monarchie et les habitudes des républicains eux-mêmes étaient encore monarchiques. La centralisation, d’ailleurs, suffisait à rendre notre situation incomparable ; d’après ses principes, toute l’administration du pays dans les plus petites aussi bien que dans les plus grandes affaires ne pouvait appartenir qu’au président ; les milliers de fonctionnaires, qui tiennent le pays tout entier dans leurs mains, ne pouvaient relever que de lui seul ; cela était ainsi, d’après les lois et même d’après les idées en vigueur que le 24 Février avait laissé subsister, car nous avions conservé l’esprit de la monarchie, en en perdant le goût. Dans de telles conditions, que pouvait être un président élu par le peuple, sinon un prétendant à la couronne ? L’institution ne pouvait convenir qu’à ceux qui voulaient s’en servir pour aider la transformation des pouvoirs présidentiels en royauté ; il me paraissait clair alors, et il me semble évident aujourd’hui que, si on voulait que le président pût, sans danger pour la république, être l’élu du peuple, il fallait restreindre prodigieusement le cercle de ses prérogatives ; et encore, je ne sais si cela eût suffi, car sa sphère ainsi resserrée dans la loi eût conservé, dans les souvenirs et dans les habitudes, son étendue. Si, au contraire, on laissait au président