Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eût jugé mauvaise, mais il arrivait jusqu’à lui donner le désir de la trouver bonne et souvent cela suffisait. Son esprit naturellement incertain, ingénieux et subtil l’inclinait peu à peu vers elle ; et il finissait quelquefois par y entrer non seulement avec croyance, mais avec emportement. Combien de fois me suis-je étonné en le voyant défendre si vivement des thèses que je lui avais vu prendre avec tant d’hésitation !

La principale raison qu’il fit valoir cette fois en faveur de l’unité du Corps législatif (et c’était la meilleure, je crois, qu’on pût trouver) fut que, parmi nous, un pouvoir exécutif exercé par un seul homme que le peuple élirait deviendrait à coup sûr prépondérant si on ne plaçait à côté de lui qu’un pouvoir législatif affaibli par sa division en deux branches.

Je me souviens que je lui répondis qu’en effet cela pourrait se rencontrer, mais que ce qui était sûr dès à présent, c’est que deux grands pouvoirs naturellement jaloux l’un de l’autre et placés dans un tête-à-tête éternel (ce fut mon mot), sans pouvoir jamais recourir à l’arbitrage d’un troisième pouvoir, seraient aussitôt en mauvais procédé ou en guerre et y resteraient constamment jusqu’à ce que l’un eût détruit l’autre. J’ajoutai que, s’il était vrai qu’un président élu du peuple et possédant les immenses prérogatives qui appartiennent en France au chef de l’administration publique,