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que nous resterions vainqueurs ; ce que je vis en m’approchant de l’Assemblée acheva de me le persuader.

Par tous les chemins que les insurgés ne commandaient pas, entraient alors dans la ville des milliers d’hommes accourant de tous les points de la France à notre aide. Grâce aux chemins de fer, il en venait déjà de cinquante lieues, quoique le combat n’eût commencé que la veille au soir. Il en vint de cent et de deux cents lieues le lendemain et les jours suivants. Ces hommes appartenaient indistinctement à toutes les classes de la société ; il y avait, parmi eux, beaucoup de paysans, beaucoup de bourgeois, beaucoup de grands propriétaires et de nobles, tous mêlés et confondus dans les mêmes rangs. Ils étaient armés d’une manière irrégulière et insuffisante, mais ils se ruaient dans Paris avec une ardeur sans égale ; spectacle aussi étrange et aussi nouveau dans nos annales révolutionnaires que celui offert par l’insurrection elle-même. Il était évident, dès lors, que nous finirions par triompher, car les insurgés ne recevaient pas de troupes fraîches, et nous, nous avions pour réserve toute la France.

Je rencontrai sur la place Louis XV, au milieu des habitants armés de son canton, mon parent, Lepelletier d’Aunay, qui avait été vice-président de la Chambre des députés durant les dernières années de la monarchie, il ne portait ni l’uniforme ni le mousquet, mais