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de ces hommes ; nous étions venus pour les encourager, et c’étaient plutôt eux qui nous encourageaient. « Tenez bon à l’Assemblée nationale, nous criaient-ils, et nous tiendrons bon ici ; courage, pas de transaction avec les insurgés ! Nous viendrons à bout de cette émeute ; tout ceci finira bien. » On n’avait jamais vu la garde nationale si résolue, et je crois qu’on aurait tort de s’attendre à la retrouver telle une autre fois, car son courage était celui de la nécessité et du désespoir et il tenait à des circonstances qui ne peuvent guère se reproduire.

Paris me rappelait, ce jour-là, certaine ville de l’antiquité dont les bourgeois défendirent les murailles en héros parce qu’ils savaient que, la ville prise, ils seraient traînés eux-mêmes en esclavage. Comme nous revenions à l’Assemblée, Goudchaux nous quitta : « Maintenant que nous avons fini notre mission, me dit-il en serrant les dents et avec un accent moitié alsacien et moitié gascon, maintenant je veux un peu aller me pattre. » Il dit cela d’un ton si martial et si peu d’accord avec sa tournure pacifique que je ne pus m’empêcher de sourire.

Il alla se battre, en effet, à ce qu’on me raconta le lendemain, et si bien qu’il eût pu se faire percer en deux ou trois endroits sa petite panse, si le sort l’eût permis. Je revins de cette tournée avec la confiance