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voie ; ils craignaient, d’ailleurs, que la victoire des ouvriers leur devînt bientôt fatale. Les passions cupides, aveugles et grossières, qui mettaient au peuple les armes à la main leur faisaient peur : passions presque aussi redoutables en effet pour ceux qui y sympathisent sans s’y abandonner entièrement que pour ceux qui les réprouvent et les combattent.

Les seuls hommes qui eussent pu se mettre à la tête des insurgés de juin s’étaient fait prendre prématurément comme des sots, le 15 mai, et ils n’entendirent le bruit du combat qu’au travers des murs du donjon de Vincennes.

Quelque préoccupé que je fusse des affaires publiques, je ne laissais pas d’être fort tourmenté de l’inquiétude que me donnaient derechef mes jeunes neveux. On les avait remis au petit séminaire et je jugeais bien que l’insurrection devait serrer de fort près le lieu qu’ils habitaient si elle ne l’avait déjà atteint. Comme leurs parents n’étaient pas à Paris, je me décidai à les aller chercher : je parcourus donc, de nouveau, le long chemin qui sépare le Palais Bourbon de la rue Notre-Dame-des-Champs. Je rencontrai quelques barricades élevées pendant la nuit par des enfants perdus des insurgés, mais elles avaient été abandonnées ou reprises au jour.

Tous ces quartiers retentissaient d’une musique diabolique, mélange de tambours et de clairons dont les