Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle-ci ne paraissait pas. Il n’y a rien de plus misérable que la vue d’une assemblée dans un moment de crise, quand le gouvernement lui-même manque. Elle ressemble à un homme encore plein de passions et de volontés, mais perclus et qui s’agite puérilement au milieu de l’impuissance de ses organes. Deux membres de la commission exécutive paraissent enfin ; ils annoncent que la situation des affaires est périlleuse, mais que, cependant, on espère étouffer l’insurrection avant la nuit. L’Assemblée se déclare en permanence et s’ajourne au soir.

À la reprise de la séance, nous apprenons que Lamartine a été reçu à coups de fusil devant toutes les barricades qu’il a essayé d’approcher ; deux de nos collègues, Bixio et Dornès, ont été blessés mortellement en voulant haranguer les insurgés. Bedeau a eu la cuisse traversée à l’entrée du faubourg Saint-Jacques ; beaucoup d’officiers de marque sont déjà tués ou hors de combat : un membre, Victor Considérant parle de faire une concession aux ouvriers ; l’Assemblée, qui était tumultueuse et troublée, mais non pas faible, se soulève à ces mots : « À l’ordre, crie-t-on de toutes parts avec une sorte de fureur : il n’est permis de parler ainsi qu’après la victoire. » Le reste de la soirée et une partie de la nuit se passent à parler vaguement, à écouter, à attendre. Vers minuit, Cavai-