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En prenant cette résolution, j’en ai pris une autre à laquelle je ne serai pas moins fidèle ; ces souvenirs seront un délassement de mon esprit et non point une œuvre de littérature. Ils ne sont retracés que pour moi seul. Cet écrit sera un miroir dans lequel je m’amuserai à regarder mes contemporains et moi-même, et non point un tableau que je destine au public. Mes meilleurs amis n’en auront point connaissance, car je veux conserver la liberté de peindre sans flatterie et moi et eux-mêmes. Je veux rechercher sincèrement quels sont les motifs secrets qui nous ont fait agir, eux et moi aussi bien que les autres hommes, et, les ayant compris, les dire. En un mot, je veux que l’expression de mes souvenirs soit sincère et, pour cela, il est nécessaire qu’elle reste entièrement secrète.

Mon intention n’est pas de faire remonter mes souvenirs plus haut que la révolution de 1848, ou de les conduire au delà de ma sortie du ministère, le 30 octobre 1849. C’est dans ces limites seulement que les événements que je veux peindre ont quelque grandeur, ou que ma position m’a permis de les bien voir.

J’ai vécu, quoique assez à l’écart, au milieu du monde parlementaire des dernières années de la monarchie de Juillet. Toutefois, j’aurais peine à retracer d’une manière distincte les événements de ce temps si proche et cependant resté si confus dans ma mémoire.