pouvait parler d’autre chose dans ce temps-là. D’ailleurs, madame Sand était alors une manière d’homme politique ; ce qu’elle me dit sur ce sujet me frappa beaucoup ; c’était la première fois que j’entrais en rapport direct et familier avec une personne qui pût et voulût me dire ce qui se passait dans le camp de nos adversaires. Les partis ne se connaissent jamais les uns les autres : ils s’approchent, ils se pressent, ils se saisissent, ils ne se voient point. Madame Sand me peignit très en détail et avec une vivacité singulière l’état des ouvriers de Paris, leur organisation, leur nombre, leurs armes, leurs préparatifs, leurs pensées, leurs passions, leurs déterminations terribles. Je crus le tableau chargé et il ne l’était pas ; ce qui suivit le montra bien. Elle parut s’effrayer pour elle-même du triomphe populaire et prendre en grande commisération le sort qui nous attendait. « Tâchez d’obtenir de vos amis, monsieur, me dit-elle, de ne point pousser le peuple dans la rue en l’inquiétant ou en l’irritant ; de même que je voudrais pouvoir inspirer aux miens la patience ; car, si le combat s’engage, croyez que vous y périrez tous. » Après ces paroles consolantes, nous nous séparâmes et, depuis, je ne l’ai jamais revue.