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briller au soleil seraient bientôt levées les unes contre les autres et je sentais que c’était la revue des deux armées de la guerre civile que nous venions de faire. J’entendis encore souvent dans cette journée retentir le cri de : « Vive Lamartine ! » cependant la grande popularité de celui-ci passait déjà ; on peut presque dire qu’elle était passée ; mais, dans toutes les foules, il se rencontre un grand nombre d’individus attardés qui s’émeuvent de l’enthousiasme de la veille, comme ces provinciaux qui commencent à prendre la mode de Paris le jour où les Parisiens l’abandonnent.

Lamartine ne tarda pas à se soustraire lui-même à ce dernier rayon de son soleil ; il se retira bien avant que la cérémonie fût terminée. Il avait l’air soucieux et las ; beaucoup de membres de l’Assemblée, vaincus également par la fatigue, l’imitèrent, et la revue se termina en face de bancs à peu près vides. Elle avait commencé de bonne heure et ne finit qu’à la nuit close.

On peut dire que tout le temps qui s’écoula depuis la revue du 21 mai jusqu’aux journées de Juin ne fut rempli que par l’anxiété que causait l’approche de ces journées. Tous les jours, de nouvelles alarmes y vinrent mettre sur pied la garde nationale et l’armée ; les artisans et les bourgeois ne vivaient plus dans leurs maisons, mais sur les places publiques et sous les