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Lamartine, qui était sorti au premier bruit, venait de reparaître à la porte avec un air déconcerté ; il avait traversé le couloir central et regagné son banc à grands pas, comme si un ennemi invisible pour nous l’eût poursuivi. Derrière lui parurent presque aussitôt plusieurs hommes du peuple ; ceux-ci s’arrêtent sur le seuil, surpris à la vue de cette immense assemblée assise. Au même instant, comme au 24 février, les tribunes s’ouvrent avec fracas ; le flot du peuple les inonde, les remplit et bientôt les déborde. Pressés par la foule qui les suit et les pousse sans les voir, les premiers venus franchissent les balustrades des tribunes, entreprennent de trouver une issue dans la salle même, au-dessus du sol de laquelle ils n’étaient guère qu’à dix pieds, se laissent pendre le long des murs et sautent dans la salle d’une hauteur de cinq à six pieds. La chute successive de chacun de ces corps, frappant l’un après l’autre sur le plancher, y produisait un ébranlement sourd, que je pris d’abord, au milieu du tumulte, pour le bruit lointain de la canonnade. Pendant qu’une partie du peuple tombait ainsi dans la salle, une autre composée principalement des chefs des clubs, y entrait par toutes les portes. Ceux-là, portant avec eux plusieurs emblèmes de la terreur, agitaient des drapeaux, dont quelques-uns étaient surmontés du bonnet rouge.