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on y soutenait que le peuple, toujours supérieur à ses mandataires, n’aliène jamais complètement sa volonté dans leurs mains, principe vrai dont on tirait faussement cette conséquence que les ouvriers de Paris étaient le peuple français. Une grande et vague agitation n’avait cessé de régner dans la ville depuis notre première séance. La foule se réunissait tous les jours dans les rues et sur les places ; elle s’y répandait sans direction comme les flots de l’océan dans la houle. Les abords de l’Assemblée étaient toujours occupés par un attroupement de ces redoutables oisifs. Un parti démagogique a tant de têtes, le hasard tient toujours une si grande et le conseil une si petite place dans ses actes, qu’il est presque impossible de dire soit avant, soit après l’événement, ce qu’il veut ou ce qu’il a voulu. Mon opinion était pourtant alors, et elle est restée telle depuis, que les principaux démagogues ne visaient pas à détruire l’Assemblée et qu’ils ne cherchaient encore qu’à s’en servir en l’opprimant. L’attaque qu’ils dirigèrent le 15 mai me parut plutôt destinée à l’effrayer qu’à l’abattre ; ce fut, du moins, une de ces entreprises, d’un caractère équivoque, si fréquentes dans les temps d’agitation populaire, dont les promoteurs eux-mêmes ont soin de ne tracer et de ne définir exactement à l’avance, ni le plan, ni le but, afin de pouvoir s’arrêter dans une démonstration pacifique ou pousser