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manquâmes de périr, bien que nous n’eussions contre nous que l’armée révolutionnaire sans ses chefs, je me demande quel eût été le sort du combat si ces chefs se fussent montrés et que l’insurrection eût pu s’appuyer sur un tiers de l’Assemblée nationale.

Lamartine voyait ces périls de plus près et plus clairement que moi et je pense aujourd’hui que la crainte de faire naître un conflit mortel influa autant que l’ambition sur sa conduite. J’aurais dû en juger ainsi, dès ce temps-là, en écoutant madame de Lamartine, dont les terreurs pour la sûreté de son mari et pour celle même de l’Assemblée étaient excessives. « Gardez-vous, me disait-elle, toutes les fois qu’elle me voyait, de pousser les choses à l’extrême ; vous ne connaissez pas les forces du parti révolutionnaire. Si nous entrons en lutte avec lui, nous périrons tous. » Je me suis souvent reproché de n’avoir pas plus cultivé la société de madame de Lamartine, car je lui ai toujours trouvé une vraie vertu, mais elle y ajoutait presque tous les défauts qui peuvent s’incorporer à la vertu et qui, sans l’altérer, la rendent moins aimable : une humeur dominante, beaucoup d’orgueil, un esprit droit, mais raide et parfois rude, de telle sorte qu’on ne pouvait ni s’empêcher de l’honorer, ni se plaire avec elle.