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comparer à rien, sinon, peut-être, à l’excès de l’injustice dont on usa bientôt envers lui. Tous les députés, qui arrivaient à Paris avec le désir de réprimer les excès de la révolution et de lutter contre le parti démagogique, le considéraient d’avance comme leur unique chef, et s’attendaient à ce qu’il allât se mettre sans hésiter à leur tête pour attaquer et abattre les socialistes et les démagogues ; ils s’aperçurent bientôt qu’ils se trompaient, et ils virent que Lamartine n’entendait pas le rôle qui lui restait à jouer, d’une façon aussi simple. Il faut avouer que sa position était bien complexe et bien difficile. On oubliait alors, mais il ne pouvait oublier lui-même qu’il avait contribué, plus que personne, au succès de la révolution de Février. La terreur effaçait en ce moment ce souvenir de l’esprit du peuple, mais la sécurité publique ne pouvait manquer de le faire reparaître bientôt. Il était facile de prévoir que du moment où le courant, qui avait amené les affaires au point où elles se trouvaient, aurait été arrêté, il s’établirait un courant contraire qui pousserait la nation en sens opposé, plus vite et plus loin que Lamartine ne pouvait et ne voulait aller. Le succès des Montagnards amènerait sa ruine immédiatement, mais leur complète défaite le rendait inutile et devait, tôt ou tard, faire sortir le gouvernement de ses mains. Il voyait donc pour lui presque autant