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de ce que j’eusse vu jusque-là ; ceux-ci étaient animés d’un nouvel esprit et montraient un nouveau caractère et de nouvelles mœurs.

Je dirai qu’à tout prendre cette Assemblée valait mieux, à mon avis, qu’aucune de celles que j’avais vues. On rencontrait dans son sein plus d’hommes sincères, désintéressés, honnêtes et surtout courageux que dans les Chambres de députés au milieu desquelles j’avais vécu.

L’Assemblée constituante avait été élue pour affronter la guerre civile : ce fut son principal mérite ; tant qu’il fallut combattre, en effet, elle fut grande ; elle ne devint misérable qu’après la victoire et quand elle sentit qu’elle s’affaissait par l’effet même et comme sous le poids de cette victoire.

Je choisis ma place du côté gauche de la salle, sur un banc d’où on pouvait facilement entendre les orateurs et se rendre à la tribune quand on voulait parler soi-même. Un grand nombre de mes anciens amis m’y rejoignirent ; Lanjuinais, Dufaure, Corcelles, Beaumont et plusieurs autres s’assirent dans le voisinage. Je veux dire un mot de cette salle elle-même, bien que tout le monde la connaisse ; cela est nécessaire à l’intelligence du récit et, d’ailleurs, quoique ce monument de bois et de plâtre doive durer vraisemblablement plus longtemps que la république dont il a été