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cédente, se figurant que cet acte insignifiant était une pièce fort importante. Je suis sûr que neuf cents paysans anglais ou américains, pris au hasard, auraient bien mieux présenté l’aspect d’un grand corps politique.

Sur les gradins d’en haut, toujours en imitation de la Convention nationale, s’étaient placés les hommes qui professaient les opinions les plus radicales et les plus révolutionnaires ; ils y étaient fort mal, mais ils y acquéraient le droit de s’appeler eux-mêmes Montagnards, et, comme les hommes aiment volontiers à se repaître d’imaginations agréables, ceux-ci se flattaient très témérairement de ressembler aux célèbres scélérats dont ils prenaient le nom.

Les Montagnards se divisèrent bientôt en deux bandes fort distinctes : les révolutionnaires de la vieille école et les socialistes ; du reste, les deux nuances n’étaient pas tranchées. On passait de l’une à l’autre par des teintes insensibles : les Montagnards proprement dits avaient presque tous dans le cerveau quelques idées socialistes, et les socialistes agréaient très volontiers les procédés révolutionnaires des premiers ; cependant ils différaient les uns des autres assez profondément pour qu’il leur fût impossible de marcher toujours d’accord, et c’est ce qui nous sauva. Les socialistes étaient les plus dangereux, car ils répondaient