Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.

autorisés et l’on y suivra avec attachement les péripéties de ce court ministère dirigé avec tant de droiture et de talent ; mais ce qu’on aimera surtout à y trouver, ce sont les larges aperçus d’un grand esprit sur l’ensemble de notre histoire et ses hautes considérations sur l’avenir du pays et de la société, ce sont ces jugements si fermes et si consciencieux sur ses contemporains, ces portraits enfin dessinés de main de maître, toujours ressemblants et toujours vivants. Il semble qu’en lisant cette œuvre intime, qui n’a été ni revue, ni corrigée par son auteur, nous approchions davantage des sentiments, des désirs, des aspirations, j’allais dire des rêves de ce rare esprit, de ce grand cœur poursuivant si ardemment la chimère du bien absolu, que rien ne parvenait à le satisfaire ni dans les institutions, ni dans les hommes.

Quelques années s’écoulèrent, l’empire s’effondra dans un terrible désastre. Alexis de Tocqueville n’était plus, et l’on peut dire que ce fut alors pour le pays un vide irréparable. Qui sait le rôle qu’il eût été appelé à jouer, l’influence qu’il aurait pu avoir pour démasquer les coupables intrigues et déjouer les mesquines ambitions dont, après vingt années, nous portons encore le poids ? Éclairé par la dure épreuve de 1848, aurait-il encore tenté cette expérience, qui ne peut être qu’un éternel provisoire, de gouverner la république avec l’appui des monarchistes ? Persuadé comme il l’était que « le gouvernement républicain n’est pas le mieux approprié aux besoins de la France », que ce « gouvernement sans contrepoids promet toujours plus, mais donne toujours moins de liberté que la monarchie constitutionnelle », n’est-ce pas à cette dernière qu’il serait venu demander la sauvegarde de cette liberté qui lui était si chère ? Ce qui est certain, c’est qu’il n’eût « jamais subordonné au besoin de se maintenir celui de rester lui-même ».

Nous avons pensé que la génération actuelle, qui a si