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y attachent d’une manière durable ; je me souviens seulement que nous criâmes quinze fois : « Vive la république ! » durant le cours de la séance, à l’envi les uns des autres. L’histoire des assemblées est pleine d’incidents analogues, et l’on y voit sans cesse un parti outrer l’expression de ses sentiments pour embarrasser son adversaire, et celui-ci feindre les sentiments qu’il n’a pas pour éviter le piège. Tous donc se poussaient par un effort commun soit au delà, soit à l’opposé du vrai. Je crois, du reste, qu’ici le cri fut de part et d’autre sincère ; il répondait seulement à des pensées diverses ou même contraires. Tous voulaient alors conserver la république, mais les uns voulaient s’en servir pour attaquer, les autres pour se défendre. Les journaux du temps parlèrent de l’enthousiasme de l’Assemblée et de celui de la foule ; il y eut beaucoup de bruit, mais d’enthousiasme point. Chacun était trop préoccupé du lendemain pour se laisser entraîner bien loin de cette pensée par un sentiment quelconque. Un décret du gouvernement provisoire avait réglé que les représentants porteraient le costume des conventionnels et surtout le gilet blanc rabattu avec lequel on ne manquait jamais de représenter Robespierre sur le théâtre. Je crus d’abord que cette belle idée était venue dans l’esprit de Ledru-Rollin ou de Louis Blanc, mais j’appris ensuite qu’elle