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pouvoir enfin jouir un peu des leurs, et sans avoir à se repaître que de l’image des abus ! La plupart avaient contracté dans cette longue abstinence un si grand appétit de places, d’honneurs et d’argent, qu’il était facile de prévoir qu’à la première occasion, ils se jetteraient sur le pouvoir avec une sorte de gloutonnerie, sans se donner le temps de choisir le moment ni le morceau. Havin était le type de ces hommes. Le gouvernement provisoire lui avait donné pour associé et même pour chef un autre de mes anciens collègues de la Chambre des députés, M. Vieillard, devenu célèbre depuis comme ami particulier du prince Louis-Napoléon. Celui-ci était dans son droit en servant la république, car il avait été au nombre des sept à huit républicains que renfermait la Chambre sous la monarchie. C’était d’ailleurs un de ces républicains qui avaient passé par les salons de l’empire avant d’arriver à la démagogie ; classique intolérant en matière de belles-lettres, voltairien en fait de croyances, un peu fat, très bienveillant, honnête homme et même homme d’esprit ; mais fort bête en politique. Havin en avait fait son instrument ; toutes les fois qu’il voulait frapper un de ses propres adversaires ou récompenser un de ses propres amis, il ne manquait point de mettre en avant Vieillard, qui le laissait faire. Havin cheminait ainsi bien couvert à l’abri de l’hon-