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dépendance en face des nouveaux souverains, et l’on me sut plus de gré de ma révolte qu’aux autres de leur obéissance.

Je me bornai donc à publier une circulaire et à la faire afficher dans tout le département.

La plupart des prétendants avaient repris les vieux usages de 92. On écrivait aux gens en les appelant « Citoyens » et on les saluait « avec fraternité ». Je ne voulus jamais me couvrir de ces friperies révolutionnaires. Je commençai ma circulaire en nommant les électeurs « Messieurs » et je la finis en me déclarant fièrement « leur très humble serviteur ». « Je ne viens pas solliciter vos suffrages, leur disais-je, je viens seulement me mettre aux ordres de mon pays ; j’ai demandé à être votre représentant dans des temps paisibles et faciles ; mon honneur me défend de refuser de l’être dans des temps qui sont déjà pleins d’agitation et qui peuvent devenir pleins de périls. Voilà ce que j’avais d’abord à vous dire. » J’ajoutais que j’avais été fidèle jusqu’au bout au serment que j’avais prêté à la monarchie, mais que la république, venue sans mon concours, aurait mon appui énergique, que je ne voulais pas seulement la laisser subsister, mais la soutenir. Puis je reprenais : « Mais de quelle république s’agit-il ? Il y a des gens qui entendent par république une dictature exercée au nom de la liberté ; qui pensent que