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que comme le moyen le moins dangereux dont on pouvait se servir pour affronter le maître.

Je m’étais arrêté dans la petite ville de Valognes, qui était le centre naturel de mon influence et, aussitôt que j’eus connu l’état du pays, je m’occupai de ma candidature. Je vis bien alors ce que j’ai souvent remarqué en mille autres circonstances, que rien ne sert plus au succès que de ne point le désirer avec trop d’ardeur. J’avais grande envie d’être élu, mais dans les conditions si difficiles et si critiques des affaires, je m’accommodais aisément de l’idée de ne pas l’être, et je puisais, dans cette attente paisible d’un échec, une tranquillité et une netteté d’esprit, un respect de moi-même et un mépris des folies du temps que je n’aurais peut-être pas trouvés au même degré si je n’avais été que sous l’empire de la passion de réussir.

Le pays commençait à se couvrir de candidats ambulants, qui colportaient de tréteaux en tréteaux leurs protestations républicaines ; je refusai de me présenter devant un autre corps électoral que celui du lieu que j’habitais. Chaque petite ville avait son club, et chaque club demandait aux candidats des explications de leurs opinions et de leurs actes, et leur imposait des formules. Je refusai de répondre à aucun de ces insolents interrogatoires. Ces refus, qui auraient pu paraître du dédain, semblèrent de la dignité et de l’in-