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que la vanité des hommes, sans changer de nature, peut donner les spectacles les plus divers. Elle a une face et un revers, mais c’est toujours la même médaille.

Comme il n’y avait plus alors d’autres passions vraies que celle de la crainte, loin de rompre avec ceux de ses parents qui s’étaient jetés dans la révolution, on cherchait à s’en rapprocher. C’était le moment où on tâchait de tirer parti de tout mauvais sujet qu’on possédait dans sa famille. Si par bonheur il se trouvait qu’on eût un cousin, un frère ou un fils qui se fût ruiné par ses désordres, celui-ci était en belle passe de réussir, et, s’il s’était fait connaître par quelque théorie extravagante, il pouvait espérer d’arriver à tout. La plupart des commissaires et sous-commissaires du gouvernement furent gens de cette espèce.

Quant au roi Louis-Philippe, il n’en était pas plus question que s’il eût appartenu à la dynastie des Mérovingiens. Rien ne me frappa plus que le silence profond qui s’était tout à coup établi autour de son nom. Je n’entendis, pour ainsi dire, pas prononcer celui-ci une seule fois, soit par le peuple, soit plus haut. Ceux de ses anciens courtisans que je vis n’en parlaient point, et je crois que véritablement ils n’y pensaient pas. La révolution leur avait donné une distraction si forte, qu’ils en avaient perdu le souvenir de ce prince. C’est, me dira-t-on, le sort ordinaire des rois qui tom-