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Cette inquiétude naturelle de l’esprit du peuple, cette agitation inévitable de ses désirs et de ses pensées, ces besoins, ces instincts de la foule formèrent, en quelque sorte, le tissu sur lequel les novateurs brodèrent tant de figures monstrueuses ou grotesques. On peut trouver leurs œuvres ridicules, mais le fond sur lequel ils ont travaillé est l’objet le plus sérieux que les philosophes et les hommes d’État puissent regarder.

Le socialisme restera-t-il enseveli dans le mépris qui couvre si justement les socialistes de 1848 ? Je fais cette question sans y répondre. Je ne doute pas que les lois constitutives de notre société moderne ne soient fort modifiées à la longue ; elles l’ont déjà été dans beaucoup de leurs parties principales, mais arrivera-t-on jamais à les détruire et à en mettre d’autres à la place ? Cela me paraît impraticable. Je ne dis rien de plus, car, à mesure que j’étudie davantage l’état ancien du monde, et que je vois plus en détail le monde même de nos jours ; quand je considère la diversité prodigieuse, qui s’y rencontre, non seulement parmi les lois, mais parmi les principes des lois, et les différentes formes qu’a prises et que retient, même aujourd’hui, quoi qu’on en dise, le droit de propriété sur la terre, je suis tenté de croire que ce qu’on appelle les institutions nécessaires ne sont souvent que les institutions