en se servant de leur pouvoir, dans un temps surtout où la vue de l’autre monde est devenue plus obscure, et où les misères de celui-ci sont plus visibles et paraissent plus intolérables ? Aussi y travaillaient-elles depuis soixante ans. Le peuple avait d’abord voulu s’aider en changeant toutes les institutions politiques, mais après chaque changement, il avait trouvé que son sort ne s’était point amélioré, ou ne s’améliorait qu’avec une lenteur insupportable à la précipitation de ses désirs. Il était inévitable qu’il finirait un jour ou l’autre par découvrir que ce qui le resserrait dans sa position, ce n’était pas la constitution du gouvernement, c’était les lois immuables qui constituent la société elle-même ; et il était naturel qu’il serait amené à se demander s’il n’avait pas le pouvoir et le droit de changer aussi celles-là, comme il avait changé les autres. Et pour parler spécialement de la propriété, qui est comme le fondement de notre ordre social, tous les privilèges qui couvraient et qui, pour ainsi dire, cachaient le privilège de la propriété étant détruits, et celui-ci restant le principal obstacle à l’égalité parmi les hommes, et paraissant en être le seul signe, n’était-il pas nécessaire, je ne dis pas, qu’on vînt à l’abolir à son tour, mais du moins que la pensée de l’abolir se présentât à l’esprit de ceux qui n’en jouissaient pas ?
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