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Paris. Deux choses me frappèrent surtout : la première, ce fut le caractère, je ne dirai pas principalement, mais uniquement et exclusivement populaire de la révolution qui venait de s’accomplir ; la toute-puissance qu’elle avait donnée au peuple proprement dit, c’est-à-dire aux classes qui travaillent de leurs mains, sur toutes les autres. La seconde, ce fut le peu de passion haineuse et même, à dire vrai, de passions vives quelconques que faisait voir dans ce premier moment le bas peuple devenu tout à coup seul maître de Paris.

Quoique les classes ouvrières eussent souvent joué le principal rôle dans les événements de la première République, elles n’avaient jamais été les conductrices et les seules maîtresses de l’État, ni en fait ni en droit ; la Convention ne contenait peut-être pas un seul homme du peuple ; elle était remplie de bourgeois et de lettrés. La guerre entre la Montagne et la Gironde fut conduite, de part et d’autre, par des membres de la bourgeoisie, et le triomphe de la première ne fit jamais descendre la puissance dans les seules mains du peuple. La révolution de Juillet avait été faite par le peuple, mais la classe moyenne l’avait suscitée et conduite, en avait recueilli les principaux fruits. La révolution de Février, au contraire, semblait être faite entièrement en dehors de la bourgeoisie et contre elle.