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entre cinq ou six enfants. Ces enfants et leurs familles ne peuvent plus dès lors subsister uniquement de la terre. » Necker avait dit, quelques années plus tard, qu’il y avait en France une immensité de petites propriétés rurales.

Je trouve, dans un rapport secret fait à un intendant peu d’années avant la Révolution : « Les successions se subdivisent d’une manière égale et inquiétante, et, chacun voulant avoir de tout et partout, les pièces de terre se trouvent divisées à l’infini et se subdivisent sans cesse. » Ne croirait-on pas que ceci est écrit de nos jours ?

J’ai pris moi-même des peines infinies pour reconstruire en quelque sorte le cadastre de l’ancien régime, et j’y suis quelquefois parvenu. D’après la loi de 1790, qui a établi l’impôt foncier, chaque paroisse a dû dresser un état des propriétés alors existantes sur son territoire. Ces états ont disparu pour la plupart ; néanmoins je les ai retrouvés dans un certain nombre de villages, et, en les comparant avec les rôles de nos jours, j’ai vu que, dans ces villages-là, le nombre des propriétaires fonciers s’élevait à la moitié, souvent aux deux tiers du nombre actuel ; ce qui paraîtra bien remarquable si l’on pense que la population totale de la France s’est accrue de plus d’un quart depuis ce temps.

Déjà, comme de nos jours, l’amour du paysan pour la propriété foncière est extrême, et toutes les passions qui naissent chez lui de la possession du sol sont allumées.