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celui-ci et un orgueil de parvenus à celle-là. La soumission vraie et respectueuse pour les volontés de la majorité leur était aussi étrangère que la soumission aux volontés divines. Presque tous les révolutionnaires ont montré depuis ce double caractère. Il y a bien loin de là à ce respect témoigné par les Anglais et les Américains aux sentiments de la majorité de leurs concitoyens. Chez eux, la raison est fière et confiante en elle-même, mais jamais insolente ; aussi a-t-elle conduit à la liberté, tandis que la nôtre n’a guère fait qu’inventer de nouvelles formes de servitude.



Le grand Frédéric a écrit dans ses Mémoires : « Les Fontenelle et les Voltaire, les Hobbes, les Collins, les Shafstesbury, les Bolingbroke, ces grands hommes portèrent un coup mortel à la religion. Les hommes commencèrent à examiner ce qu’ils avaient stupidement adoré ; la raison terrassa la superstition ; on prit un dégoût pour les fables qu’on avait crues. Le déisme fit de nombreux sectateurs. Si l’épicurisme devint funeste au culte idolâtre des païens, le déisme ne le fut pas moins de nos jours aux visions judaïques adoptées par nos ancêtres. La liberté de penser qui régnait en Angleterre avait beaucoup contribué aux progrès de la philosophie. »

On voit, par le passage ci-dessus, que le grand Frédéric, au moment où il écrivait ces lignes, c’est-à-dire au milieu du dix-huitième siècle, considérait encore à cette époque l’Angleterre comme le foyer des doctrines irréligieuses. On y voit quelque chose de plus frappant : un des souverains les plus versés dans la science des hommes et dans celle des affaires qui n’a pas l’air de se douter de l’utilité politique