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tendant (1760-1770) que l’intendant leur donnait l’ordre de faire arrêter les gens nuisibles, non pour les faire juger, mais pour les faire détenir. Le subdélégué demande à l’intendant de faire détenir à perpétuité deux mendiants dangereux qu’il avait fait arrêter. Un père réclame contre l’arrestation de son fils, arrêté comme vagabond parce qu’il voyageait sans papiers. Un propriétaire de X. demande qu’on fasse arrêter un homme, son voisin, dit-il, qui est venu s’établir dans sa paroisse, qu’il a secouru, mais qui se conduit très-mal à son égard et l’incommode. L’intendant de Paris prie celui de Rouen de vouloir bien rendre ce service à ce propriétaire, qui est son ami.

A quelqu’un qui veut faire mettre en liberté des mendiants, l’intendant répond que « le dépôt des mendiants ne doit pas être considéré comme une prison, mais seulement comme une maison destinée à retenir, par correction administrative, ceux qui mendient et les vagabonds. » Cette idée a pénétré jusque dans le Code pénal, tant les traditions de l’ancien régime, en cette matière, se sont bien conservées.




On a dit que le caractère de la philosophie du dix-huitième siècle était une sorte d’adoration de la nature humaine, une confiance sans bornes dans sa toute-puissance pour transformer à son gré lois, institutions et mœurs. Il faut bien s’entendre : c’était moins encore, à vrai dire, la raison humaine que quelques-uns de ces philosophes adoraient que leur propre raison. Jamais on n’a montré moins de confiance que ceux-là dans la sagesse commune. Je pourrais en citer plusieurs qui méprisaient presque autant la foule que le bon Dieu. Ils montraient un orgueil de rivaux à