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Il ne faut pas s’étonner, quoique cela paraisse fort étrange et le soit en effet, de voir dans l’ancien régime des fonctionnaires publics, dont plusieurs appartiennent à l’administration proprement dite, plaider en Parlement pour savoir quelle est la limite de leurs différents pouvoirs. Cela s’explique lorsque l’on pense que toutes ces questions, en même temps qu’elles étaient des questions d’administration publique, étaient aussi des questions de propriété privée. Ce qu’on prend ici pour un empiétement du pouvoir judiciaire n’était qu’une conséquence de la faute que le gouvernement avait commise en mettant les fonctions publiques en office. Les places étant tenues en office et chaque fonctionnaire étant rétribué en raison des actes qu’il faisait, on ne pouvait changer la nature de la fonction sans léser un droit qui avait été acheté du prédécesseur. Exemple entre mille : le lieutenant-général de police du Mans soutient un long procès contre le bureau de finances de cette ville, pour prouver que, ayant la police des rues, il doit être chargé de faire tous les actes relatifs à leur pavage et toucher le prix de ces actes. À quoi le bureau repart que le pavage des rues lui est attribué par le titre même de sa commission. Ce n’est pas, cette fois, le conseil du roi qui décide ; comme il s’agit principalement de l’intérêt du capital engagé dans l’acquisition de l’office, c’est le Parlement qui prononce. L’affaire administrative s’est transformée en procès civil.