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Comment c’est au Canada qu’on pouvait le mieux juger la centralisation administrative de l’ancien régime.


C’est dans les colonies qu’on peut le mieux juger la physionomie du gouvernement de la métropole, parce que c’est là que d’ordinaire tous les traits qui le caractérisent grossissent et deviennent plus visibles. Quand je veux juger l’esprit de l’administration de Louis XIV et ses vices, c’est au Canada que je dois aller. On aperçoit alors la difformité de l’objet comme dans un microscope.

Au Canada, une foule d’obstacles que les faits antérieurs ou l’ancien état social opposaient, soit ouvertement, soit secrètement, au libre développement de l’esprit du gouvernement, n’existaient pas. La noblesse ne s’y voyait presque point, ou du moins elle y avait perdu presque toutes ses racines ; l’Église n’y avait plus sa position dominante ; les traditions féodales y étaient perdues ou obscurcies ; le pouvoir judiciaire n’y était plus enraciné dans de vieilles institutions et de vieilles mœurs. Rien n’y empêchait le pouvoir central de s’y abandonner à tous ses penchants naturels et de façonner toutes les lois suivant l’esprit qui l’animait lui-même. Au Canada, donc, pas l’ombre d’institutions municipales ou provinciales, aucune force collective autorisée, aucune initiative individuelle permise. Un intendant ayant une position bien autrement prépondérante que celle qu’avaient ses pareils en France ; une administration se mêlant encore de bien plus de choses que dans la métropole, et voulant de même faire de tout Paris, malgré les dix-huit cents lieues qui l’en séparent ; n’adoptant jamais les grands