Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

enfin que le clergé s’est mis plus à part de tout ce qui était tombé avec lui, on a vu graduellement la puissance de l’Église se relever dans les esprits et s’y raffermir.

Et ne croyez pas que ce spectacle soit particulier à la France ; il n’y a guère d’église chrétienne en Europe qui ne se soit ravivée depuis la Révolution française.

Croire que les sociétés démocratiques sont naturellement hostiles à la religion est commettre une grande erreur : rien dans le christianisme, ni même dans le catholicisme, n’est absolument contraire à l’esprit de ces sociétés, et plusieurs choses y sont très-favorables. L’expérience de tous les siècles d’ailleurs a fait voir que la racine la plus vivace de l’instinct religieux a toujours été plantée dans le cœur du peuple. Toutes les religions qui ont péri ont eu là leur dernier asile, et il serait bien étrange que les institutions qui tendent à faire prévaloir les idées et les passions du peuple eussent pour effet nécessaire et permanent de pousser l’esprit humain vers l’impiété.

Ce que je viens de dire du pouvoir religieux, je le dirai à plus forte raison du pouvoir social.

Quand on vit la Révolution renverser à la fois toutes les institutions et tous les usages qui avaient jusque-là maintenu une hiérarchie dans la société et retenu les hommes dans la règle, on put croire que son résultat serait de détruire non pas seulement un ordre particulier de société, mais tout ordre ; non tel gouvernement, mais la puissance sociale elle-même ; et l’on dut juger