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songe à la manière dont ce peuple avait vécu sous l’ancien régime, on n’aura pas de peine à imaginer ce qu’il allait être.

Les particularités mêmes de sa condition lui avaient donné plusieurs vertus rares. Affranchi de bonne heure et depuis longtemps propriétaire d’une partie du sol, isolé plutôt que dépendant, il se montrait tempérant et fier : il était rompu à la peine, indifférent aux délicatesses de la vie, résigné dans les plus grands maux, ferme au péril : race simple et virile qui va remplir ces puissantes armées sous l’effort desquelles l’Europe ploiera. Mais la même cause en faisait un dangereux maître. Comme il avait porté presque seul depuis des siècles tout le faix des abus, qu’il avait vécu à l’écart, se nourrissant en silence de ses préjugés, de ses jalousies et de ses haines, il s’était endurci par ces rigueurs de sa destinée, et il était devenu capable à la fois de tout endurer et de tout faire souffrir.

C’est dans cet état que, mettant la main sur le gouvernement, il entreprit d’achever lui-même l’œuvre de la Révolution. Les livres avaient fourni la théorie ; il se chargea de la pratique, et il ajusta les idées des écrivains à ses propres fureurs.

Ceux qui ont étudié attentivement, en lisant ce livre, la France au dix-huitième siècle, ont pu voir naître et se développer dans son sein deux passions principales, qui n’ont point été contemporaines et n’ont pas toujours tendu au même but.

L’une, plus profonde et venant de plus loin, est la