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le passé. Au plus fort de la guerre civile, les douze juges d’Angleterre continuèrent, dit-on, à faire deux fois l’an la tournée des assises. Tout ne fut donc pas agité à la fois. La révolution se trouva circonscrite dans ses effets, et la société anglaise, quoique remuée à son sommet, resta ferme dans son assiette.

Nous avons vu nous-mêmes en France, depuis 89, plusieurs révolutions qui ont changé de fond en comble toute la structure du gouvernement. La plupart ont été très-soudaines et se sont accomplies par la force, en violation ouverte des lois existantes. Néanmoins, le désordre qu’elles ont fait naître n’a jamais été ni long ni général ; à peine ont-elles été ressenties par la plus grande partie de la nation, quelquefois à peine aperçues.

C’est que, depuis 89, la constitution administrative est toujours restée debout au milieu des ruines des constitutions politiques. On changeait la personne du prince ou les formes du pouvoir central ; mais le cours journalier des affaires n’était ni interrompu ni troublé ; chacun continuait à rester soumis, dans les petites affaires qui l’intéressaient particulièrement, aux règles et aux usages qu’il connaissait ; il dépendait des pouvoirs secondaires auxquels il avait toujours eu l’habitude de s’adresser, et, d’ordinaire, il avait affaire aux mêmes agents ; car, si à chaque révolution l’administration était décapitée, son corps restait intact et vivant ; les mêmes fonctions étaient exercées par les mêmes fonctionnaires ; ceux-ci transportaient à travers la diversité des lois po-