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atteints de cette manière était restreint ; mais le nombre des petits propriétaires lésés était grand, car déjà la terre était très-divisée. Chacun de ceux-là avait appris par sa propre expérience le peu d’égards que mérite le droit de l’individu quand l’intérêt public demande qu’on le violente, doctrine qu’il n’eut garde d’oublier quand il s’agit de l’appliquer à d’autres à son profit.

Il avait existé autrefois, dans un très-grand nombre de paroisses, des fondations charitables qui, dans l’intention de leurs auteurs, avaient eu pour objet de venir au secours des habitants dans de certains cas et d’une certaine manière que le testament indiquait. La plupart de ces fondations furent détruites dans les derniers temps de la monarchie ou détournées de leur objet primitif par de simples arrêts du conseil, c’est-à-dire par le pur arbitraire du gouvernement. D’ordinaire, on enleva les fonds ainsi donnés aux villages pour en faire profiter des hôpitaux voisins. À son tour, la propriété de ces hôpitaux fut, vers la même époque, transformée dans des vues que le fondateur n’avait pas eues et qu’il n’eût point adoptées sans doute. Un édit de 1780 autorisa tous ces établissements à vendre les biens qu’on leur avait laissés dans différents temps, à la condition d’en jouir à perpétuité, et leur permit d’en remettre le prix à l’État, qui devait en servir la rente. C’était, disait-on, faire de la charité des aïeux un meilleur usage qu’ils n’en avaient fait eux-mêmes. On oubliait que le meilleur moyen d’apprendre aux hommes à violer