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péril ou arrêté par les remords ; contempteur de toutes les maximes reçues et de tous les moyens ordinaires, il terrasse ceux qui ne peuvent même pas comprendre comment il existe. »

L’événement est-il en effet si extraordinaire qu’il a paru jadis aux contemporains ? aussi inouï, aussi profondément perturbateur et rénovateur qu’ils le supposaient ? Quel fut le véritable sens, quel a été le véritable caractère, quels sont les effets permanents de cette révolution étrange et terrible ? Qu’a-t-elle détruit précisément ? Qu’a-t-elle créé ?

Il semble que le moment de le rechercher et de le dire est venu, et que nous soyons placés aujourd’hui à ce point précis d’où l’on peut le mieux apercevoir et juger ce grand objet. Assez loin de la Révolution pour ne ressentir que faiblement les passions qui troublaient la vue de ceux qui l’ont faite, nous en sommes assez proches pour pouvoir entrer dans l’esprit qui l’a amenée et pour le comprendre. Bientôt on aura peine à le faire, car les grandes révolutions qui réussissent, faisant disparaître les causes qui les avaient produites, deviennent ainsi incompréhensibles par leurs succès mêmes.