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spéculaient dans ses marchés, s’était prodigieusement accru. Jamais la fortune de l’État et la fortune particulière n’avaient été autant entremêlées. La mauvaise gestion des finances, qui n’avait été longtemps qu’un mal public, devint alors, pour une multitude de familles, une calamité privée. En 1789, l’État devait ainsi près de 600 millions à des créanciers presque tous débiteurs eux-mêmes, et qui, comme l’a dit un financier du temps, associaient à leurs griefs contre le gouvernement tous ceux que son inexactitude associait à leurs souffrances. Et remarquez qu’à mesure que les mécontents de cette espèce devenaient plus nombreux, ils devenaient aussi plus irrités ; car l’envie de spéculer, l’ardeur de s’enrichir, le goût du bien-être, se répandant et s’accroissant avec les affaires, faisaient paraître de pareils maux insupportables à ceux mêmes qui, trente ans auparavant, les auraient peut-être endurés sans se plaindre.

De là vint que les rentiers, les commerçants, les industriels et autres gens de négoce ou hommes d’argent, qui forment d’ordinaire la classe la plus ennemie des nouveautés politiques, la plus amie du gouvernement existant, quel qu’il soit, et la mieux soumise aux lois mêmes qu’elle méprise ou qu’elle déteste, se montra cette fois la plus impatiente et la plus résolue en fait de réformes. Elle appelait surtout à grands cris une révolution complète dans tout le système des finances, sans penser qu’en remuant profondément cette partie du gouvernement, on allait faire tomber tout le reste.