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tion de l’instrument que la force des moteurs qui fait le produit. Voyez l’Angleterre : combien, aujourd’hui encore, ses lois administratives paraissent-elles plus compliquées, plus diverses, plus irrégulières que les nôtres ! Y a-t-il pourtant un seul pays en Europe où la fortune publique soit plus grande, la propriété particulière plus étendue, plus sûre et plus variée, la société plus solide et plus riche ? Cela ne vient pas de la bonté de telles lois en particulier, mais de l’esprit qui anime la législation anglaise tout entière. L’imperfection de certains organes n’empêche rien, parce que la vie est puissante.

À mesure que se développe en France la prospérité que je viens de décrire, les esprits paraissent cependant plus mal assis et plus inquiets ; le mécontentement public s’aigrit ; la haine contre toutes les institutions anciennes va croissant. La nation marche visiblement vers une révolution.

Bien plus, les parties de la France qui devaient être le principal foyer de cette révolution sont précisément celles où les progrès se font le mieux voir. Si on étudie ce qui reste des archives de l’ancienne généralité de l’Ile-de-France, on s’assurera aisément que c’est dans les contrées qui avoisinent Paris que l’ancien régime s’était le plus tôt et le plus profondément réformé. Là, la liberté et la fortune des paysans sont déjà mieux garanties que dans aucun autre pays d’élection. La corvée personnelle a disparu longtemps avant 1789. La levée de la taille est devenue plus régulière, plus mo-