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le reste de l’Europe une machine de gouvernement aussi bien montée, aussi grande et aussi forte ; la rencontre d’un tel gouvernement parmi nous leur semble une circonstance singulièrement heureuse : ils l’auraient appelée providentielle, s’il avait été de mode, alors comme aujourd’hui, de faire intervenir la Providence à tout propos. « La situation de la France, dit Letronne, est infiniment meilleure que celle de l’Angleterre ; car ici on peut accomplir des réformes qui changent tout l’état du pays en un moment, tandis que chez les Anglais de telles réformes peuvent toujours être entravées par les partis. »

Il ne s’agit donc pas de détruire ce pouvoir absolu, mais de le convertir. « Il faut que l’État gouverne suivant les règles de l’ordre essentiel, dit Mercier de la Rivière, et, quand il en est ainsi, il faut qu’il soit tout-puissant. » — « Que l’État comprenne bien son devoir, dit un autre, et alors qu’on le laisse libre. » Allez de Quesnay à l’abbé Bodeau, vous les trouverez tous de la même humeur.

Ils ne comptent pas seulement sur l’administration royale pour réformer la société de leur temps ; ils lui empruntent, en partie, l’idée du gouvernement futur qu’ils veulent fonder. C’est en regardant l’un qu’ils se sont fait une image de l’autre.

L’État, suivant les économistes, n’a pas uniquement à commander à la nation, mais à la façonner d’une certaine manière : c’est à lui de former l’esprit des citoyens suivant un certain modèle qu’il s’est proposé à l’avance,