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souvent comme insensibles à tous ces petits biens qui nous possèdent.

J’ai beaucoup étudié l’histoire, et j’ose affirmer que je n’y ai jamais rencontré de révolution où l’on ait pu voir au début, dans un aussi grand nombre d’hommes, un patriotisme plus sincère, plus de désintéressement, plus de vraie grandeur. La nation y montra le principal défaut, mais aussi la principale qualité qu’a la jeunesse, l’inexpérience et la générosité.

Et pourtant l’irréligion produisit alors un mal public immense.

Dans la plupart des grandes révolutions politiques qui avaient paru jusque-là dans le monde, ceux qui attaquaient les lois établies avaient respecté les croyances, et, dans la plupart des révolutions religieuses, ceux qui attaquaient la religion n’avaient pas entrepris du même coup de changer la nature et l’ordre de tous les pouvoirs et d’abolir de fond en comble l’ancienne constitution du gouvernement. Il y avait donc toujours eu dans les plus grands ébranlements des sociétés un point qui restait solide.

Mais, dans la Révolution française, les lois religieuses ayant été abolies en même temps que les lois civiles étaient renversées, l’esprit humain perdit entièrement son assiette ; il ne sut plus à quoi se retenir ni où s’arrêter, et l’on vit apparaître des révolutionnaires d’une espèce inconnue, qui portèrent l’audace jusqu’à la folie, qu’aucune nouveauté ne put surprendre, aucun scrupule ralentir, et qui n’hésitèrent jamais