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Ce que je dis ici des nobles doit s’entendre, en tout pays, des propriétaires riches : pays de centralisation, campagnes vides d’habitants riches et éclairés ; je pourrais ajouter : pays de centralisation, pays de culture imparfaite et routinière, et commenter le mot si profond de Montesquieu, en en déterminant le sens : « Les terres produisent moins en raison de leur fertilité que de la liberté des habitants. » Mais je ne veux pas sortir de mon sujet.

Nous avons vu ailleurs comment les bourgeois, quittant de leur côté les campagnes, cherchaient de toutes parts un asile dans les villes. Il n’y a pas un point sur lequel tous les documents de l’ancien régime soient mieux d’accord. On ne voit presque jamais dans les campagnes, disent-ils, qu’une génération de paysans riches. Un cultivateur parvient-il par son industrie à acquérir enfin un peu de bien : il fait aussitôt quitter à son fils la charrue, l’envoie à la ville et lui achète un petit office. C’est de cette époque que date cette sorte d’horreur singulière que manifeste souvent, même de nos jours, l’agriculteur français pour la profession qui l’a enrichi. L’effet a survécu à la cause.

À vrai dire, le seul homme bien élevé, ou, comme disent les Anglais, le seul gentleman qui résidât d’une manière permanente au milieu des paysans et restât en contact incessant avec eux, était le curé  ; aussi le curé fût-il devenu le maître des populations rurales, en dépit de Voltaire, s’il n’avait été rattaché lui-même d’une façon si étroite et si visible à la hiérarchie po-