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Quand la vénalité des charges est établie, ils continuent à se plaindre de l’abus qu’on fait des offices. Ils s’élèvent contre tant de places inutiles et de privilèges dangereux, mais toujours en vain. Ces institutions étaient précisément établies contre eux ; elles naissaient du désir de ne point les assembler et du besoin de travestir, aux yeux des Français, l’impôt qu’on n’osait leur montrer sous ses traits véritables.

Et remarquez que les meilleurs rois ont recours à ces pratiques comme les pires. C’est Louis XII qui achève de fonder la vénalité des offices ; c’est Henri IV qui en vend l’hérédité : tant les vices du système sont plus forts que la vertu des hommes qui le pratiquent !

Ce même désir d’échapper à la tutelle des États fit confier aux Parlements la plupart de leurs attributions politiques, ce qui enchevêtra le pouvoir judiciaire dans le gouvernement d’une façon très-préjudiciable au bon ordre des affaires. Il fallait avoir l’air de fournir quelques garanties nouvelles à la place de celles qu’on enlevait ; car les Français, qui supportent assez patiemment le pouvoir absolu, tant qu’il n’est pas oppressif, n’en aiment jamais la vue, et il est toujours sage d’élever devant lui quelque apparence de barrières qui, sans pouvoir l’arrêter, le cachent du moins un peu.

Enfin ce fut ce désir d’empêcher que la nation, à laquelle on demandait son argent, ne redemandât sa liberté, qui fit veiller sans cesse à ce que les classes restassent à part les unes des autres, afin qu’elles ne pussent ni se rapprocher ni s’entendre dans une résistance