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faits, on ne pût empêcher le trésor public de les détourner pour les appliquer à son usage, de façon à ce que bientôt les contribuables eussent à supporter tout à la fois et l’imposition nouvelle et les corvées. Je ne crains pas de dire qu’il n’y a pas un particulier qui eût pu échapper aux arrêts de la justice, s’il avait conduit sa propre fortune comme le grand roi, dans toute sa gloire, menait la fortune publique.

Si vous rencontrez quelque ancien établissement du moyen-âge qui se soit maintenu en aggravant ses vices au rebours de l’esprit du temps, ou quelque nouveauté pernicieuse, creusez jusqu’à la racine du mal : vous y trouverez un expédient financier qui s’est tourné en institution. Pour payer des dettes d’un jour, vous verrez fonder de nouveaux pouvoirs qui vont durer des siècles.

Un impôt particulier, appelé le droit de franc fief, avait été établi à une époque très reculée sur les roturiers qui possédaient des biens nobles. Ce droit créait entre les terres la même division qui existait entre les hommes et accroissait sans cesse l’une par l’autre. Je ne sais si le droit de franc fief n’a pas plus servi que tout le reste à tenir séparé le roturier du gentilhomme, parce qu’il les empêchait de se confondre dans la chose qui assimile le plus vite et le mieux les hommes les uns aux autres, la propriété foncière. Un abîme était ainsi, de temps à autre, rouvert entre le propriétaire noble et le propriétaire roturier son voisin. Rien, au contraire, n’a plus hâté la cohésion de ces deux classes en Angle-