Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.

élevées à côté d’elles n’avaient fait qu’imiter leur opulence sans la surpasser.

En France, les roturiers seuls semblaient hériter de tout le bien que la noblesse perdait ; on eût dit qu’ils ne s’accroissaient que de sa substance. Aucune loi cependant n’empêchait le bourgeois de se ruiner ni ne l’aidait à s’enrichir ; il s’enrichissait néanmoins sans cesse ; dans bien des cas, il était devenu aussi riche et quelquefois plus riche que le gentilhomme. Bien plus, sa richesse était souvent de la même espèce : quoiqu’il vécût d’ordinaire à la ville, il était souvent propriétaire aux champs ; quelquefois même il acquérait des seigneuries.

L’éducation et la manière de vivre avaient déjà mis entre ces deux hommes mille autres ressemblances. Le bourgeois avait autant de lumières que le noble, et ce qu’il faut bien remarquer, ses lumières avaient été puisées précisément au même foyer. Tous deux étaient éclairés par le même jour. Pour l’un comme pour l’autre, l’éducation avait été également théorique et littéraire. Paris, devenu de plus en plus le seul précepteur de la France, achevait de donner à tous les esprits une même forme et une allure commune.

À la fin du dix-huitième siècle, on pouvait encore apercevoir, sans doute, entre les manières de la noblesse et celles de la bourgeoisie, une différence ; car il n’y a rien qui s’égalise plus lentement que cette superficie de mœurs qu’on nomme les manières ; mais, au fond, tous les hommes placés au-dessus du peuple se ressemblaient ; ils avaient les mêmes idées, les mêmes