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la rigueur les édits et les arrêts que je viens de citer, il n’existe dans le royaume aucun exempt de ces droits ; mais ceux qui sont versés dans la connaissance des affaires savent qu’il en est de ces dispositions impérieuses comme des peines qu’elles prononcent, et que, quoiqu’on les trouve dans presque tous les édits, déclarations et arrêts portant établissement d’impôts, cela n’a jamais empêché les exceptions. »

L’ancien régime est là tout entier : une règle rigide, une pratique molle ; tel est son caractère.

Qui voudrait juger le gouvernement de ce temps-là par le recueil de ses lois, tomberait dans les erreurs les plus ridicules. Je trouve, à la date de 1757, une déclaration du roi qui condamne à mort tous ceux qui composeront ou imprimeront des écrits contraires à la religion ou à l’ordre établi. Le libraire qui les vend, le marchand qui les colporte, doit subir la même peine. Serions-nous revenus au siècle de saint Dominique ? Non, c’est précisément le temps où régnait Voltaire.

On se plaint souvent de ce que les Français méprisent la loi ; hélas ! quand auraient-ils pu apprendre à la respecter ? On peut dire que, chez les hommes de l’ancien régime, la place que la notion de la loi doit occuper dans l’esprit humain était vacante. Chaque solliciteur demande qu’on sorte en sa faveur de la règle établie, avec autant d’insistance et d’autorité que s’il demandait qu’on y rentrât, et on ne la lui oppose jamais, en effet, que quand on a envie de l’éconduire. La soumission du peuple à l’autorité est encore complète, mais son obéis-