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le même être. On n’a eu, depuis à lui ajouter ni à lui ôter rien d’essentiel  ; il a suffi d’abattre tout ce qui s’élevait autour d’elle pour qu’elle apparût telle que nous la voyons.

La plupart des institutions que je viens de décrire ont été imitées depuis en cent endroits divers ; mais elles étaient alors particulières à la France, et nous allons bientôt voir quelle grande influence elles ont eue sur la Révolution française et sur ses suites.

Mais comment ces institutions de date nouvelle avaient-elles pu se fonder en France au milieu des débris de la société féodale ?

Ce fut une œuvre de patience, d’adresse et de longueur de temps, plus que de force et de plein pouvoir. Au moment où la Révolution survint, on n’avait encore presque rien détruit du vieil édifice administratif de la France ; on en avait, pour ainsi dire, bâti un autre en sous-œuvre.

Rien n’indique que, pour opérer ce difficile travail, le gouvernement de l’ancien régime ait suivi un plan profondément médité à l’avance ; il s’était seulement abandonné à l’instinct qui porte tout gouvernement à vouloir mener seul toutes les affaires, instinct qui demeurait toujours le même à travers la diversité des agents. Il avait laissé aux anciens pouvoirs leurs noms antiques et leurs honneurs, mais il leur avait peu à peu soustrait leur autorité. Il ne les avait pas chassés, mais éconduits de leurs domaines. Profitant de l’inertie de celui-ci, de l’égoïsme de celui-là, pour prendre sa place ;