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APPENDICE.

Rien de plus bizarre, par exemple, que ce qui est arrivé en 1839. Cette année-là la diète siégeait à Zurich, et la Confédération avait pour gouvernement le directoire de l’État de Zurich. Survient à Zurich une révolution cantonale. Une insurrection populaire renverse les autorités constituées. La Diète se trouve aussitôt sans président, et la vie fédérale demeure suspendue jusqu’à ce qu’il plaise au canton de se donner d’autres lois et d’autres chefs. Le peuple de Zurich, en changeant son administration locale, avait sans le vouloir décapité la Suisse.

La Confédération eût-elle un pouvoir exécutif en propre, le gouvernement serait encore impuissant à se faire obéir, faute d’action directe et immédiate sur les citoyens. Cette cause de faiblesse est plus féconde à elle seule que toutes les autres ensemble ; mais, pour qu’elle soit bien comprise, il faut faire plus que de l’indiquer.

Un gouvernement fédéral peut avoir une sphère d’action assez limitée et être fort ; si dans cette sphère étroite il peut agir par lui-même, sans intermédiaire, comme le font les gouvernements ordinaires dans la sphère illimitée ou ils se meuvent ; s’il a ses fonctionnaires qui s’adressent directement à chaque citoyen, ses tribunaux qui forcent chaque citoyen de se soumettre à ses lois ; il se fait obéir aisément, parce qu’il n’a jamais que des résistances individuelles à craindre, et que toutes les difficultés qu’on lui suscite se terminent par des procès.

Un gouvernement fédéral peut au contraire avoir une sphère d’action très-vaste et ne jouir que d’une autorité très-faible et très-précaire, si, au lieu de s’adresser individuellement aux citoyens, il est obligé de s’adresser aux gouvernements cantonaux ; car si ceux-ci résistent, le pouvoir fédéral trouve aussitôt en face de lui moins un