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APPENDICE.

à être libres, cette idée demeura aussi étrangère à leur esprit qu’elle pouvait l’être à celui même des princes de la maison d’Autriche, qu’ils avaient vaincus. Tous les pouvoirs ne tardèrent donc pas à être attirés et retenus dans le sein de petites aristocraties formées ou qui se recrutaient elles-mêmes. Au nord, ces aristocraties prirent un caractère industriel ; au midi, une constitution militaire. Mais, des deux côtés, elles furent aussi resserrées, aussi exclusives. Dans la plupart des cantons, les trois quarts des habitants furent exclus d’une participation quelconque, soit directe, soit même indirecte, à l’administration du pays ; et, de plus, chaque canton eut des populations sujettes.

Ces petites sociétés, qui s’étaient formées au milieu d’une agitation si grande, devinrent bientôt si stables qu’aucun mouvement ne s’y fit plus sentir. L’aristocratie ne s’y trouvant ni poussée par le peuple, ni guidée par un roi, y tint le corps social immobile dans les vieux vêtements du moyen âge.

Les progrès du temps faisaient déjà pénétrer depuis longtemps le nouvel esprit dans les sociétés les plus monarchiques de l’Europe, que la Suisse lui demeurait encore fermée.

Le principe de la division des pouvoirs était admis par tous les publicistes, il ne s’appliquait point en Suisse. La liberté de la presse, qui existait au moins en fait dans plusieurs monarchies absolues du continent, n’existait en Suisse ni en fait ni en droit ; la faculté de s’associer politiquement n’y était ni exercée ni reconnue ; la liberté de la parole y était restreinte dans des limites très-étroites. L’égalité des charges, vers laquelle tendaient tous les gouvernements éclairés, ne s’y rencontrant pas plus que