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NOTES.

table une théière de porcelaine anglaise, des cuillères d’argent, quelques tasses ébréchées et des journaux.

Le maître de cette demeure a les traits anguleux et les membres effilés qui distinguent l’habitant de la Nouvelle-Angleterre ; il est évident que cet homme n’est pas né dans la solitude où nous le rencontrons : sa constitution physique suffit pour annoncer que ses premières années se sont passées au sein d’une société intellectuelle, et qu’il appartient à cette race inquiète, raisonnante et aventurière, qui fait froidement ce que l’ardeur seule des passions explique, et qui se soumet pour un temps à la vie sauvage afin de mieux vaincre et de civiliser le désert.

Lorsque le pionnier s’aperçoit que nous franchissons le seuil de sa demeure, il vient à notre rencontre et nous tend la main, suivant l’usage ; mais sa physionomie reste rigide ; il prend le premier la parole pour nous interroger sur ce qui arrive dans le monde, et quand il a satisfait sa curiosité, il se tait ; on le croirait fatigué des importuns et du bruit. Nous l’interrogeons à notre tour, et il nous donne tous les renseignements dont nous avons besoin ; il s’occupe ensuite sans empressement, mais avec diligence, de pourvoir à nos besoins. En le voyant ainsi se livrer à ces soins bienveillants, pourquoi sentons-nous malgré nous se glacer notre reconnaissance ? c’est que lui-même, en exerçant l’hospitalité, semble se soumettre à une nécessité pénible de son sort : il y voit un devoir que sa position lui impose, non un plaisir.

A l’autre bout du foyer est assise une femme qui berce un jeune enfant sur ses genoux ; elle nous fait un signe de tête sans s’interrompre. Comme le pionnier, cette femme est dans la fleur de l’âge, son aspect semble supérieur à sa condition, son costume annonce même encore un goût de parure mal éteint : mais ses membres